En Europe, l'Église a le monopole des activités éducatives depuis des siècles. Chaque communauté religieuse avait ses propres établissements d'enseignement (madrasas, heders, écoles paroissiales, établissements d'enseignement catholiques, etc.), dans lesquels elle enseignait à ses adhérents. L'élément principal de la formation était la religion, la plupart du temps étant consacré à l'étude des prières, à l'interprétation des livres sacrés, au chant de l'église, etc. La lecture, le comptage et l'écriture étaient maîtrisés dans le processus d'étude des livres religieux. La grammaire, la rhétorique, la dialectique, l'arithmétique, la géométrie, l'astronomie et la musique étaient également enseignées dans une perspective religieuse. Ainsi, les étudiants ont reçu une connaissance approfondie, mais étroite et incomplète.
Processus historiques rapides des XVIIIe-XXe siècles: révolution scientifique et technologique, développement industriel, croissance urbaine, changements de régimes politiques à la suite de révolutions bourgeoises, guerres mondiales, etc. conduit à la transformation spirituelle et politique de la société européenne, l'un des signes de la nouvelle société a été la sécularisation (séparation de l'Église) des terres, du pouvoir étatique et de l'éducation.
Au XXe siècle, dans de nombreux pays européens, l'éducation publique devient complètement laïque, l'élément religieux est absolument exclu du programme, comme un anachronisme qui divise la population civile selon des lignes confessionnelles. Le retrait de l'Église de l'éducation est fixé au niveau législatif. La France est un exemple d'une telle politique éducative. [5, 33] Mais après quelques années d'expérience pratique, les coûts de l'éducation sans élément religieux sont devenus apparents. Les autorités françaises, après avoir analysé la situation, ont initié le développement d'un projet d'introduction d'un élément religieux dans le système d'enseignement secondaire, en le confiant au philosophe et homme politique français Régis Debray.
En février 2002, il a reçu le Rapport au ministre de l’Éducation nationale. L'Enseignement du fait religieux dans l'école laïque », sur la nécessité de l'alphabétisation religieuse, les difficultés, les contradictions de cette question et les moyens de sa solution.
R. Debrey fait valoir l'infériorité des fondements conceptuels d'un paradigme non religieux ou athée qui rejette les approches civilisationnelles de la religion. La société française ressent de plus en plus la menace d'une perte collective, de la rupture de la mémoire nationale et européenne, où le manque d'éducation religieuse et culturelle rend impossible de comprendre ni les frontons de la cathédrale de Chartres, ni les œuvres du Tintoret, ni la Semaine Sainte de L. Aragon. [4127] Ainsi, il y a une dégradation de la culture nationale, une perte de conscience historique. Le rapport note que, ainsi, non seulement les événements historiques et les œuvres d'art perdent leur sens, mais aussi la modernité, qui parfois ne peut être comprise sans la compréhension de certains traits religieux, comme par exemple l'attaque terroriste du 11 septembre 2001. [2]
L'étude des faits dits religieux devait devenir non seulement le sujet d'une discipline particulière, par exemple «Histoire des religions», mais être introduite dans tout le cycle humanitaire: linguistique, philologie, philosophie, etc. Avec un tel modèle d'éducation laïque, imprégné de faits religieux, un problème se pose d'une extrême urgence et 20 ans après la publication du rapport, c'est la perception par les minorités nationales vivant et scolarisées en France de l'introduction d'une composante religieuse qui leur est étrangère dans le processus éducatif. Conscient d'une certaine responsabilité pour cet aspect complexe, Régis Debrey précise que «l'enseignement religieux spécialisé dans une école laïque ne doit pas être confondu avec la mise en conformité culturelle de l'éducation nationale, ce qui implique un enseignement des connaissances sur les composantes religieuses de la culture nationale». [4, 130]
Comme l'une des conditions les plus importantes pour enseigner les faits religieux dans les écoles laïques, Régis Debrey a appelé la présentation correcte du matériel et la capacité à expliquer sans primitivisation, à donner un sentiment, mais pas à imposer une opinion, la capacité à informer sur les faits pour comprendre plus tard leur signification. Trouver l'équilibre optimal entre conformité culturelle et laïcité dans l'éducation permettra d'éviter la discrimination des croyants face aux non-croyants et de prévenir la destruction du système unifié d'éducation nationale, ainsi que la prévention de l'extrémisme, a convaincu le ministère de l'Éducation nationale après le rapport de Régis Debrey. [4 130]
R. Debrey a souligné un certain nombre de problèmes qui accompagneront inévitablement l'introduction d'une composante religieuse dans une éducation «sécularisée» à long terme: la surcharge du programme scolaire, le manque de personnel qualifié avec les compétences nécessaires pour une présentation compétente et délicate des faits religieux, la préservation du principe de laïcité dans l'éducation, comme l'impartialité et la neutralité, pas de propagande athée et anti-religieuse. [2]
Le rapport a fait l'objet d'une controverse publique, de nombreuses questions ont été soulevées concernant le sujet du rapport et sa définition. Conscient de toute la complexité et de la délicatesse de ce problème dans un État multinational et multi-confessionnel, le philosophe dans son rapport a utilisé une certaine nouvelle définition du «fait religieux» au lieu du concept discutable mais défini de «religion».
Les éditeurs d'Études ont demandé à Régis Debrey de répondre à la question: Qu'est-ce qu'un fait religieux ?
«Ne le nions pas: le fait religieux est de bonne diplomatie. L’expression a de l’emploi parce qu’elle est commode, et d’une neutralité peu compromettante. Elle ne privilégie aucune confession en particulier. Chacun en a sa part et tous l’ont tout entier. Le laïque soupçonneux d’une possible contrebande spiritualiste excusera le religieux par le fait, qui force, dit-on, à s’incliner. Et le croyant réticent devant toute réduction positiviste d’une foi vivante excusera le fait parce que religieux … L’alliage des deux mots neutralize l’un par l’autre. Le positif par le mystique, et vice-versa. Aussi bien confessants et libres-penseurs y trouvent-ils leur compte, sans y regarder de près.» [3]
Arguments en faveur de la nécessité d'utiliser la terminologie choisie, le philosophe définit la place de l'éducation laïque dans le rôle de la formation de la personnalité. «La République a l'honneur de ne pas confondre la formation des esprits avec la formation des âmes» [3] et explique pourquoi il ne peut y avoir de "culture religieuse" à l'école. À son avis, le mot «religieux» est normatif, chargé de jugements de valeur pointillés, capables de faire croire qu'un non-religieux ou athée n'est pas éduqué. Le mot «événement» ne convient pas car dans son sens on voit la priorité de l'interruption sur le continu, les événements religieux peuvent être qualifiés de «non-événements», car bien qu'ils aient un cadre chronologique, ils se produisent principalement dans la conscience humaine et ne se rapportent pas à leur courte période. étant. A titre d'exemples, R. Debrey appelle l'ascension au Sinaï, la crucifixion de Jésus-Christ ... [3]
Comme les avantages d'un "fait religieux" que R. Debray appelle le fait qu'il couvre le plus large que les religions fomalisent les systèmes symboliques, est perçu au premier degré, n'implique pas une essence cachée ou universelle, il peut aussi être étudié à l'aide de diverses sciences, par exemple l'histoire ou géographie, car elle a des signes formels: datation (mais sans s'y limiter), lieu d'action. Le fait est que c'est un point de départ irréfutable.
Après de nombreux débats publics, le projet a été introduit dans le système éducatif.
Aujourd'hui, dans la scolarité française, le fait religieux se présente comme suit.
L'étude des faits religieux débute en quatrième année d'école primaire - Cours moyen 1 (enfants de 9 ans). Le programme comprend des sujets:
- Et avant la France? Baptême de Clovis
- Temps des rois: Louis IX "roi chrétien", décret de Nantes, croisades et guerres de religions.
L'enseignement secondaire en France est divisé en collège (obligatoire pour tous) et lycée. La formation collégiale comprend 3 cycles:
Cycle d'adaptation - sixième année (la classe de sixième). 2 sujets sont considérés comme des faits religieux:
1. Histoire de la fondation, des croyances et de la citoyenneté dans l'ancienne Méditerranée au 1er millénaire avant JC:
- le monde des villes grecques;
- Rome du mythe à l'histoire;
- la naissance du monothéisme juif dans un monde polythéiste
2. L'Empire romain dans le monde antique:
- y compris les chrétiens dans l'empire
Le cycle central est la cinquième (la classe de cinquième) et la quatrième (la classe de quatrième). En cinquième année, 2 sujets sont également présentés:
1. christianisme et islam (VI-XIII siècles), mondes en contact
2. Société, église et pouvoir féodal dans l'ouest féodal (XI-XV siècles).
Les programmes actuels ne mettent pas l'accent sur les faits religieux, ni en quatrième, ni dans le cycle d'orientation professionnelle - la troisième année (la classe de troisième). Bien que dans les anciens programmes, les faits religieux étaient enseignés tout au long de la période d'étude. En quatrième année, des faits religieux ont été mis en évidence sur des sujets tels que: les contrastes religieux de l'Europe aux 17e et 18e siècles; tendances baroques et classiques; le principe de la loi divine dans la monarchie française; philosophie des Lumières; période révolutionnaire; L'Europe et son expansion au XIXe siècle. [1]
En troisième année, y compris d'un point de vue religieux, des sujets liés aux événements de la Seconde Guerre mondiale, au régime de Vichy en France, à la décolonisation ultérieure et à l'organisation du monde moderne ont été examinés.
Ainsi, la France est devenue porteuse d'une expérience pédagogique unique parmi les pays de l'Union européenne, dans la plupart des autres pays européens un cours séparé sur la religion a été mis en place.
La nécessité de changer la politique éducative était dictée par des aspects philosophiques, culturels et sociaux.
Premièrement, l'alphabétisation religieuse fait partie intégrante de la culture générale d'une personne. En France, un grand nombre de valeurs culturelles ont une base religieuse (par exemple, l'un des symboles de la France, Notre-Dame de Paris), donc, pour comprendre ces valeurs, se sentir et devenir leurs porteurs, la jeune génération de la nation a besoin d'avoir un certain niveau de connaissances dans ce domaine.
Deuxièmement, pour de nombreux Etats européens, dont la France, se posent aujourd'hui des problèmes très aigus liés aux flux de migrants qui, porteurs d'une autre culture, font partie des Français. Pour construire un dialogue interethnique et interculturel constructif, les représentants de la population autochtone et les nouveaux résidents doivent avoir une idée des traditions religieuses, des valeurs et des interdictions les uns des autres. Ainsi, enseigner ces aspects dans les écoles d'enseignement général est une étape vers la réduction des tensions interethniques et une tentative de résoudre les problèmes de migration.
Troisièmement, de nombreuses discussions autour du thème même de l'enseignement des aspects religieux à l'école fournissent un matériel important pour une compréhension philosophique de la société moderne. Le fait de soulever cette question au niveau des États, la prise de conscience de la nécessité de l'alphabétisation religieuse, la recherche de solutions, l'introduction d'éléments religieux dans le système éducatif suggèrent qu'aujourd'hui l'Europe entre progressivement dans une nouvelle étape de développement et tente de construire une société «post-laïque».